Article publié en janvier 2025 dans Tempo Médical

neurochirurgie IA Monaco

La neurochirurgie est probablement une des spécialités chirurgicales qui a connu les plus grandes avancées technologiques au cours de ces dernières décennies, modifiant ainsi la vision du neurochirurgien sur la façon d’aborder les tumeurs cérébrales et les pathologies vertébrales 1, 2

L’imagerie avancée : l’IRM dans ses dernières évolutions – l’IRM 3D/4D – l’IRM fonctionnelle et l’IRM à séquences de diffusion – permet de cartographier l’activité cérébrale en temps réel avec grande précision. Quant au PETscan ou TEP (Tomographie par Émission de Positons) il permet, suite à l’injection d’un traceur radioactif (Fluorl8 ou Carbonell), d’évaluer le métabolisme cérébral et de dépister les zones pathologiques. Des logiciels de fusion d’image permettent aussi de rassembler toutes ces informations sur un seul examen, intégrant ainsi des données anatomiques et des données fonctionnelles autrefois séparées.

La neuronavigation et la réalité virtuelle augmentée sont des systèmes qui aident le chirurgien à localiser pendant l’intervention les zones cibles, qu’elles soient à respecter ou à réséquer, réduisant ainsi les risques et optimalisant la qualité des résultats par une résection plus complète des zones pathologiques. La réalité virtuelle augmentée améliore encore la neuronavigation en injectant en temps réel des images préopératoires dans la vision du chirurgien, que ce soit via le microscope ou via des optiques spécialement conçues. Ces technologies peuvent aussi remplir des rôles de formation, pour exercer les chirurgiens aguerris à planifier des interventions en simulant des scénarios chirurgicaux complexes, ou pour l’apprentissage des jeunes en formation.

La stimulation cérébrale profonde (SCP), apparue à la fin des années 80 et initialement utilisée pour traiter la maladie de Parkinson, a vu ses indications s’étendre vers le traitement de certains troubles psychiatriques comme certains troubles obsessionnels compulsifs et certaines dépressions. La SCP implique l’implantation d’électrodes dans le cerveau pour moduler l’activité neuronale.

La chirurgie minimal-invasive est une autre révolution progressive, en route depuis plusieurs dizaines d’années. Elle est flagrante en chirurgie rachidienne avec l’apparition des techniques percutanées ou endoscopiques ou en neurochirurgie vasculaire avec lagénéralisation destechniques endovasculaires dans le traitement des anévrismes cérébraux par embolisation et mise en place de coils. Enfin, les progrès de la radiochirurgie (gamma knife ou accélérateur linéaire) ont été tels que toute une série d’interventions neurochirurgicales «ouvertes» sont devenues obsolètes.

La robotique n’est pas en reste: les robots chirurgicaux, comme Rosa® ou Da Vinci®, améliorent la précision et la stabilité des interventions. Cette précision accrue est utile dans les interventions complexes, comme le placement d’électrodes ou la biopsie cérébrale.

Enfin, comment ne pas parler du sujet le plus brûlant de ces dernières années, l’intelligence artificielle. La «crise des ressources humaines» est l’un des défis les plus importants du secteur de la santé de ces dernières années. L’actuelle facilité d’accès et de regroupement des données médicales a entrainé une augmentation considérable de la production et du stockage de données cliniques telles que l’imagerie, la génomique et la surveillance de la santé. Par exemple, 80 % des quelque 15 millions de diagnostics de cancerdans le monde nécessitent une intervention chirurgicale qui, à son tour, nécessite la collecte, le traitement, l’interprétation et le stockage de données cliniques pré-per- et post-opératoires par un humain. À ce niveau, l’IA peut donc être d’une aide très précieuse.

L’IA peut profiter aux neurochirurgiens en intégrant une grande quantité d’informations anatomiques, morphologiques et de connectivité. Elle peut aider considérablement les neuroradiologues et les neurochirurgiens à établir des diagnostics efficaces et efficients, en réduisant les erreurs de diagnostic, en améliorant la qualité des indications chirurgicales, en accélérant le triage et donc le flux de travail pour initier le traitement, et en réduisant ainsi le travail humain ainsi que les coûts.

L’IA peut en particulier être utilisée pour accélérer l’acquisition et l’interprétation de l’imagerie cérébrale, ce qui peut s’avérer crucial pour aider les cliniciens à améliorer la précision de leur diagnostic. De plus, l’IA peut être utilisée pour la classification automatique du type d’épilepsie avec une précision de 60 %, pour prédire le type de tumeur (gliomes, lymphomes…) avec une précision de 86 % pour diagnostiquer les événements ischémiques aigus avec une précision de 56 % et les anévrismes cérébraux avec une précision de plus de 90 %.

Pour une bonne compréhension de l’intégration de l’IA en médecine, il est essentiel de faire la différence entre l’apprentissage automatique (ML ou machine learning) et l’apprentissage profond (DL ou deep learning).

L’apprentissage automatique est un sous-domaine de l’IA qui cherche à apprendre des modèles à partir de données, divisés en deux catégories: l’apprentissage supervisé et non supervisé. L’apprentissage supervisé consiste à créer des prédictions basées sur des données préliminaires ou des groupes de données avec des résultats étiquetés, tandis que l’apprentissage non supervisé n’apprend pas et n’a pas accès à des résultats étiquetés. Bien que lesdeux types d’apprentissage puissent être utilisés pour créer des prédictions quantitatives, l’apprentissage non supervisé peut découvrir de nouvelles classifications ou de nouveaux modèles.

Dans la figure ci-dessous, nous passons en revue toutes les applications émergentes de ces technologies d’apprentissage automatique en neurochirurgie.

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l’IA a ainsi été utilisée pour identifier et catégoriser les tumeurs du gliome, grâce à une analyse de neuroimagerie. Les chercheurs ont évalué systématiquement 153 études qui utilisaient le ML pour améliorer le classement des tumeurs, le diagnostic, la segmentation, l’identification non invasive des biomarqueurs génétiques, la surveillance de la progression et le pronostic de survie des patients. En général, les performances du modèle ML étaient excellentes. Cette étude souligne le rôle essentiel du machine learning (MU dans la classification médicale et son potentiel à améliorer considérablement le diagnostic et le traitement des maladies.

Le potentiel de l’IA pour révolutionner la classification des tumeurs au-delà du glioblastome et du lymphome est donc évident, avec la capacité de découvrir des gènes marqueurs et pronostiques dans divers types de tumeurs. Ces applications pourraient considérablement façonner la trajectoire du traitement. De plus, l’intégration de la modélisation pré­ chirurgicale dans la planification chirurgicale promet de réduire les complications dues aux variations anatomiques. L’IA a aussi montré son intérêt dans le suivi de la récidive tumorale en soins postopératoires,

L’IA peut améliorer l’interface cerveau-ordinateur (ICC) en facilitant la sensation auditive, la sensation somatique, la sensation visuelle, etc. Les microélectrodes peuvent capter le signal du cerveau et le transférer à l’IA pour traitement. L’IA va en extraire des caractéristiques significatives, par exemple, supprimer le bruit de fond des lectures, identifier la logique dans les données et produire un résultat cohérent. Le retour d’information du résultat peut ensuite être envoyé au cortex, fournissant ainsi un ajustement en temps réel du comportement.

Bien que ce développement de l’IA semble très technique et directement lié à des sociétés hautement technologiques, l’intégration et le traitement des données, cliniques et radiologiques ont un intérêt considérable pour organiser les flux de patients dans des pays où les ressources médicales ou matérielles sont plus faibles.

Le mot de la fin est donné au Docteur Patrick Fransen, neurochirurgien : « C’est sans doute en neurochirurgie tumorale crânienne que l’IA va se développer le plus rapidement, car en oncologie cérébrale, l’analyse de l’image est capitale. Dans les cas de tumeurs cérébrales, on traite souvent en fonction de l’image, même asymptomatique, et l’œil de l’IA sera rapidement plus performant que celui du clinicien. C’est sans doute moins vrai dans les pathologies rachidiennes, où l’on traite avant tout le symptôme. Comme l’IA ne semble pas (encore) capable d’évaluer indépendamment la douleur ou les manifestations neurologiques, et que l’imagerie a un rôle plus indicatif, Il est vraisemblable que l’IA y sera moins rapidement performante. »

Références

  1. Artificial Intelligence in Neurosurgery: AState-of­ the-Art. Review !rom Pastto Jonathan A. Tangsrivimol, Ethan Schonfeld, Michael Zhang, Anand Veeravagu, Timothy R. Smith, Roger Hartl, Michael T. Lawton, Adham H. EI-Sherbini, Daniel M. Prevedello, Benjamin S. Glicksberg and Chayakrit Krittanawong. Diagnostics 2023, 13, 2429. https:// doi.org/10.3390/diagnosticsl3142429.
  2. Neurosurgery and artificial intelligence. Mohammad Mofatteh, Sir William Dunn School of Pathology, Medical Sciences Division, University of Oxford, South Parks Road, Oxford OXI 3RE, United Kingdom, Lincoln College, University of Oxford, Turl Street, Oxford OXI 3DR, United Kingdom. AIMS Neuroscience Volume 8, Issue 4, 477-495.
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Dr Patrick FRANSEN

Chirurgien orthopédiste
Rachis Neurochirurgie

Dr Patrick DE MOOR

Médecin Généraliste